Boxe - Adonis Stevenson

Le choc

Début des années 80, Port-au-Prince. Adonis Stevenson vit chez sa grand-mère à Carrefour, quartier populaire de la capitale haïtienne. Il ne se souvient pas de son âge exact, pas plus de 4 ans, croit-il.

Comme chaque jour, il s’amuse dans la rue avec les autres enfants. Soudain, un tonton macoute fait irruption et tire une balle dans la tête d’un homme, à bout portant.

Les morceaux de cervelle éclaboussent le sol. Les gens courent se cacher.

« J’ai revu longtemps la scène dans ma tête. »

Sa mère a déjà immigré à Montréal d’où elle envoie un peu d’argent chaque mois en attendant d’en avoir assez pour faire venir le reste de la famille.

Adonis n’a jamais connu son père, mort avant sa naissance. Il lui a été décrit comme un athlète, un maître de karaté. Sa mort est nébuleuse. Certains disent qu’il est mort empoisonné à la suite d’un rituel vaudou. D’autres, qu’il a péri à la suite d’un coup au cœur reçu lors d’un combat.

L’enfant rejoint sa mère à Montréal en 1984. Il a 7 ans. Il atterrit dans un petit logement de la rue Barclay, dans Côte-des-Neiges, avec son frère aîné et une sœur plus jeune.

Sa mère a refait sa vie avec un Québécois de souche avec qui elle aura trois autres enfants. De plus en plus à l’étroit, ils déménagent dans un modeste bungalow de Laval.

Adonis n’a pas le droit d’inviter d’amis à la maison. Elle est déjà trop pleine.

À 14 ans, il claque la porte. Il vit dans la rue. « C’est là que je me sentais bien. » Il dort chez des amis ou dans le métro.

L’instinct du lion

Début des années 90, Montréal. Une bande de jeunes Noirs entre dans le gymnase de kickboxing de Tiger Paul, sur l'avenue Papineau.

Parmi eux, le jeune Adonis.

Tiger Paul le remarque tout de suite. À 15 ans, il est le plus costaud du groupe.

C’est le chef de la bande, Bélande Thadal, surnommé Fox, qui, du haut de ses 17 ans, ordonne à l’entraîneur d’expérience d’« évaluer ses gars ».

« Je veux savoir qui a une chance d’aller plus loin », insiste Fox.

Sa bande a un nom : les Black Panthers. Selon la police, elle est affiliée à un gang majeur d’allégeance bleue, les Crack Down Posse.

Tiger Paul ne se laisse pas impressionner. Il enseigne quelques rudiments aux jeunes et les fait combattre.

« Les gars n’avaient pas de technique, raconte-t-il. Mais Adonis avait une force incroyable pour son âge. »

Au terme de la première séance, l’entraîneur annonce à Fox que le meilleur, c’est Adonis. « Il était comme un animal. On n’apprend pas à un lion à se battre. Il le sait d’instinct. »

Fox lui remet un peu d’argent pour financer l’entraînement de son poulain. Le jeune homme se prend déjà pour son agent. Pour le meilleur. Et, surtout, pour le pire.

Un jour, Adonis dit à Tiger qu’il ne croit pas que le kickboxing va le rendre riche. La boxe serait plus payante, pense-t-il. L’entraîneur le dirige vers un confrère à Brooklyn, qui accepte de le prendre sous son aile.

Vers l’âge de 18 ans, Adonis ne fait ni une ni deux et part aux États-Unis. Fox est du voyage. Là-bas, on lui offre une allocation de subsistance. L’entraîneur veut toucher 35 % de ses bourses à venir. Fox s’y oppose.

À l’époque, Tiger part pour Haïti. Il croit son poulain en train de parfaire les rudiments de la boxe à Brooklyn.

Adonis entame plutôt le début de sa carrière criminelle à Montréal.

Un enfant influençable

La mère du boxeur, Colette Adonis, défend son fils (Stevenson Adonis inverse son nom et son prénom en boxe). Plus jeune, son fils était naïf, influençable, dit-elle.

Fox a déjà fait croire à Adonis qu’ils étaient cousins, car leurs mères venaient toutes deux de la région des Cayes, en Haïti.

Il a dit ça seulement pour profiter de lui, dit la sexagénaire. « Ses problèmes ont commencé quand il l’a rencontré. »

Entre ses six enfants à élever et son emploi de préposée aux bénéficiaires, la mère n’avait jamais de répit. Son fils s’est mis à lui désobéir à l’adolescence. Il n’était jamais à la maison. Elle ne savait pas avec qui il traînait.

Aujourd’hui, elle est fière de ce que son fils est devenu. Les nombreux trophées gagnés par Adonis en boxe amateur qui trônent sur la table du salon du modeste bungalow de Laval en témoignent. Son fils a commis une « erreur de jeunesse », dit-elle.

« Personne n’est parfait. Son passé est derrière lui. Il est sur le bon chemin. »

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